Cette chronique a été initialement publiée sur le site de Harvard Business Review France le 08/07/2020.
Dans un monde où le rythme des changements et l’obsolescence des compétences s’accélèrent, où la révolution technologique fait émerger des enjeux inédits de « upskilling / reskilling », où l’évolution des marchés – et des évènements comme la crise sanitaire – imposent une adaptation permanente, progresser en tant que « learning company » est plus que jamais un avantage distinctif. A partir de pratiques recueillies auprès de plus de 50 grands groupes et start-ups à forte croissance, ainsi que de travaux de recherche et publications[1], voici un cadre de réflexion et d’action pour ancrer des dynamiques apprenantes dans sept moments clés de l’expérience collaborateur.
1-INTÉGRATION
C’est une étape décisive pour accroître la rétention des salariés en impulsant un rythme d’apprentissage sur plusieurs mois (débutant même avant le premier jour) :
– Faciliter une appropriation de la vision et du métier : « Welcome Pack » apprenant (ex : livres ou objets suscitant une réflexion en lien avec les valeurs de l’entreprise), ou atelier pour s’entraîner à présenter en quelques mots son entreprise : c’est le cas dans la startup ContentSquare où chaque salarié reçoit une certification liée à l’utilisation de leur solution à l’issue de ses deux jours d’onboarding.
– Susciter dès le début une culture de partage et de mentoring, grâce à un accompagnement par un ou plusieurs parrains/marraines, comme dans l’entreprise Buffer – spécialisée dans la publication et l’analyse des campagnes sur les réseaux sociaux – qui interviennent auprès des nouveaux venus sur les sujets de culture d’entreprise, d’expertise métier et de management.
– Inciter à réfléchir sur soi et son développement professionnel, en intégrant un test de personnalité, un « livret de développement », ou encore des questions réflexives sur sa capacité à apprendre, à partager et à grandir dans l’organisation, comme le fait dès l’entretien de recrutement l’organisme de formation Numa.
2-FORMATIONS INTERNES
Au-delà des programmes formels et des ressources digitales mises à disposition, il est important de créer les conditions pour autoriser, voire sanctuariser des « espaces-temps » d’apprentissage :
– Rituels courts et périodiques, comme les fameux « breakfast/lunch & learn » – y compris virtuels : moments d’inspiration avec des intervenants internes ou externes qui partagent leurs « bonnes » pratiques, ou encore des « ateliers philosophiques » sur des thèmes comme l’intelligence collective, chez L’Oréal, à destination de la communauté RH ;
– « Learning days », organisés dans différents pays et ouverts à tous, combinant des moments d’inspiration en lien avec la stratégie business ou RH, des formations souvent animées en interne, des échanges entre les participants, le tout autour d’une thématique spécifique – comme « we love learning » chez Natixis ;
– Evénements combinant apprentissage et intelligence collective, comme un hackathon biannuel où les collaborateurs sont invités à imaginer en équipes pluridisciplinaires et internationales, des réponses à des problématiques business ou sociétales, comme le fait la licorne Irlandaise Stripe, la nouvelle plateforme de paiements en ligne.
3-AUTO-APPRENTISSAGE
L’enjeu est aussi de créer les conditions de responsabilisation des collaborateurs dans leur développement, en écho avec la notion de « maîtrise personnelle », proposée par Peter Senge[2], pour engager les salariés dans une dynamique permanente d’auto-apprentissage :
– Favoriser la connaissance de soi par des outils et des exercices d’introspection, et proposer des formations pour « apprendre à apprendre » ;
– Diffuser régulièrement des ressources de formation en les personnalisant en fonction du profil et des intérêts de chacun, en utilisant comme le fait Google des « people analytics » ;
– Proposer des « journées de développement », sous forme de « menu » : participation à des conférences ou salons, mécénat de compétences ; ou encore des « cool days » comme le propose une fois par mois à ses collaborateurs la startup Comet.
– Multiplier les approches d’accompagnement individuel : « coaching bar » le vendredi matin, « speed-coaching » avec des coachs externes disponibles par visioconférence, ou encore mise à disposition de coachs internes, comme chez le nouvel assureur santé Alan.
4-APPRENTISSAGE SOCIAL
L’apprentissage est social par nature : chacun peut être apprenant et formateur auprès de pairs, et cette forme d’apprentissage contribue, deux fois plus que la formation traditionnelle en salle, à l’acquisition de nouvelles compétences et expertises. Comment l’encourager encore davantage ?
– Déployer des dispositifs de formation de « Peer to Peer » et de mentoring à grande échelle pour accélérer le partage de compétences métiers et/ou comportementales entre pairs, comme le fait Air France sur sa communauté de managers ; ou mettre en place des réseaux d’échanges métiers permettant de trouver rapidement la solution à un problème rencontré comme chez Generali ;
– Mettre en place des groupes de co-développement, en présentiel ou à distance, internalisés mais aussi inter-entreprises sur des thématiques ou populations ciblées du type business developers ou responsables marketing, comme le fait la startup iAdvize.
– Susciter le partage post formation, comme le propose le « Gandalf Scholarship » de DBSBank, grâce auquel tout collaborateur peut recevoir 1000 dollars pour une formation professionnelle de son choix, à condition de partager ses enseignements à minimum 10 personnes.
5-MODES DE TRAVAIL
Selon une étude récente de France Stratégie[2], les organisations du travail qui sont réellement apprenantes, notamment en milieu industriel, se caractérisent par trois critères : l’autonomie des collaborateurs, la polyvalence et la résolution de problème en équipes. Les départements formation peuvent équiper les managers et leurs équipes pour favoriser de telles pratiques :
– Des rituels d’apprentissages en équipe : temps d’inclusion au démarrage des réunions (comme la « météo personnelle », particulièrement utile en situation de crise), valorisation des efforts (« qu’est-ce qui vous a rendu fiers ce mois-ci ? »), points réguliers sur le fonctionnement d’équipe (présence, place aux questions et émotions,…). Sans oublier les « retours d’experience » pour apprendre des succès et échecs, comme le rituel « Fail, Learn, Succeed » de Blablacar ;
– Des modes de travail propices à l’intelligence collective et à l’innovation, outils de collaboration, environnements comme les « creativity rooms » dédiées à l’innovation, ou les murs en « velleda », pour les brainstormings et le management visuel, comme chez Qonto, la néobanque des entreprises et des indépendants.
6- RÔLE DU MANAGEMENT
Le rôle du manager d’équipe est une pierre angulaire de l’apprentissage individuel et collectif ; à condition que ce rôle soit clair, et soutenu par des formations et outils pour :
– Accompagner le développement des collaborateurs : posture de « manager coach » développé notamment chez Criteo et intégration de « boucles d’apprentissage » dans des points réguliers avec ses équipes avec, par exemple, la règle « 5/0/5 »[4] : prendre cinq minutes avant une formation de son collaborateur pour échanger sur son besoin, zéro minute pendant sa formation, et à nouveau cinq minutes après pour décider de la mise en oeuvre des apprentissages ;
– Aider à se projeter sur le moyen terme : « conversations de développement », comme chez Danone, pour amener chaque collaborateur à révéler ses talents – avec un guide introspectif –, réfléchir à son projet professionnel et bâtir un plan de développement ;
– Instaurer des « moments d’apprentissage » réguliers : au sein d’une équipe (tous les trimestres par exemple chez Leroy Merlin), afin d’apprendre ensemble sur une nouvelle thématique, ou d’effectuer un partage d’expérience ; ou plus largement, rituels d’entreprise, comme « DEAL – Drop Everything And Learn » chez le spécialiste de la formation en ligne Udemy.
7-MOBILITÉ INTERNE & EXTERNE
L’évolution de carrière et l’expérience opérationnelle sont parmi les plus importantes sources d’apprentissage. Comment multiplier les occasions ?
– Programmes d’immersion en externe (startups, associations…) ou en interne, comme « l’Open Talent Market » mis en place par Schneider Electric, qui vise à connecter les souhaits de développement des collaborateurs avec des opportunités de vivre une nouvelle expérience : par exemple mission à temps partiel ou complet, contribution sur un projet, rôle de formateur ;
– Entretiens approfondis lors des départs, afin de clôturer positivement la collaboration, et améliorer par les feed-backs l’expérience collaborateur – et ainsi la marque employeur – comme chez ManoMano, leader du bricolage en ligne, où tous les départs sont célébrés ;
– Animation d’un réseau d’anciens : permettant aux alumni de continuer à se développer en s’appuyant sur la communauté, et à l’entreprise de bénéficier d’un réseau d’ambassadeurs, voire de formateurs expérimentés, à l’image de McKinsey qui fédère un réseau de 34 000 alumni à travers le monde.
En conclusion, si le « Pourquoi devenir une organisation apprenante » appartient à chaque entreprise, le « comment » active plusieurs dimensions : VISION (source de motivation intrinsèque pour les individus et les équipes), CULTURE (pour instaurer un « growth mindset »), POLITIQUES LEARNING bien sûr, enfin ORGANISATION & MANAGEMENT : dimension trop peu activée et pourtant clé dans les dynamiques d’apprentissage.
Et si cet article se terminait par une pratique réflexive – à la source aussi de l’apprentissage – après avoir parcouru ces 21 pratiques apprenantes :
1. Qu’est-ce qui vous a le plus inspiré ?
2. Quelles sont les 3 pratiques que vous retenez ?
3. Quelle initiative allez-vous expérimenter ?
En espérant que cet article vous a plu ! N’hésitez pas à liker, partager et également nous dire quelles sont vos pratiques les plus distinctives 😀
Auteurs
Morgan Baivier de Fortis, Co-Fondateur de MONMENTOR 1ère solution de Mentoring & Peer Learning en entreprise. Nous aidons les équipes RH à fidéliser et engager leurs Talents, Managers & Dirigeants.
Thierry Bonetto, Fondateur de Learning Futures, cabinet de conseil en stratégie L&D spécialisé en Organisation Apprenante.
Sources
[4] Charles Jennings, co-foundateur du « 70 :20 :10 Institute »
[3] Benhamou S., Lorenz E. : « Les organisations du travail apprenantes : enjeux et défis pour la France », Avril 2020
[2] Senge, P : Directeur du « Center for Organizational Learning » au MIT, et auteur du livre de référence sur l’organisation apprenante : « The Fifth Discipline »
[1] Notamment : Peter Senge / 5 Disciplines, publications de HBR, CIPD, études de Nick van Dam (ancien CLO de Mc Kinsey et expert mondial en L&D), Charles Jennings (Fondateur du “70/20/10 Institute“)